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La MIXITÉ SOCIALE
sous la menace de la GENTRIFICATION

INTRODUCTION



           Le nouvel urbanisme est en opposition avec les principes de l’urbanisme  du mouvement moderne et des nombreuses pratiques que l’on a vues apparaître au cours du  vingtième siècle.  Il a pour prémisse de retrouver les principes de générations et de composition des villes anciennes pour ne pas recréer les problématiques engendrées par l’aménagement urbain des dernières décennies. Il plaide pour l’instauration de politique publique et de pratiques d’aménagement qui s’appuient sur de nombreux fondements. La valorisation des modes de transports actifs et communs, la mise en valeur du contexte local quant à son histoire,  son climat et son écologie et la diversification des usages et des usagers au sein d’un même quartier sont quelques unes des amorces de ce mouvement. 



La volonté de créer une mixité sociale à l’échelle d’un quartier vient d’une part de  l’observation de l’homogénéisation de la population dans les secteurs urbains créés au vingtième siècle mais, certainement davantage, de ségrégation, par origine et par revenu, des citoyens et des nombreux problèmes connus aujourd’hui que ceci  a engendré. « Ce mélange est perçu comme la condition essentielle pour un équilibre des relations sociales à l’échelle de la ville, et sur le plan institutionnel il permet de répartir les charges entre davantage de collectivités. »  (Deschamps, E., 2001)  Pour ce faire, il doit y avoir au sein d’un même quartier, un large choix d’habitations à différents prix et mode de tenure pour encourager la fréquentation quotidienne d’habitants de diverses tranches d’âge, d’origine et de revenus.



Par contre,  en observant plusieurs quartiers conçus sur les principes d’aménagement du nouvel urbanisme, on remarque que cette diversification sociale est rarement présente. Effectivement, la mise en Å“uvre de ce type de développements tend même à créer un embourgeoisement de secteurs urbains, soit le phénomène de gentrification, qui est en opposition complète au principe de la mixité sociale. (Langlois, S., 2008)

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Au fait de ces informations, il nous vient à nous questionner sur la ou les raisons qui créent cette incohérence entre la volonté et la réalisation du principe de mixité sociale dans le nouvel urbanisme. 



 Ã€ cette fin, il sera tout d’abord intéressant de voir pour quelles raisons la mixité sociale est devenue une exigence à l’équilibre des relations entre les citoyens à l’échelle d’une municipalité. Ensuite, il sera important de bien cerner le phénomène de la gentrification.  De connaître la façon dont il se crée, les périodes et les lieux qui le favorisent et les groupes sociaux qu’il implique généralement, De ces faits, les conséquences qu’il crée seront étudiées. Ces dernières permettront de comprendre les difficultés de la mise en Å“uvre du principe de mixité sociale. Finalement, une analyse du projet de revitalisation de Regent Park, situé à Toronto, sera effectuée sous cet angle.  Ce projet consiste à transformer le plus grand parc de logements sociaux au pays en un ensemble urbain dynamique et convivial pour une collectivité saine et diversifiée.  Il doit aussi permettre à la majorité de sa population initiale de continuer à y demeurer une fois le projet achevé. Il sera donc intéressant de connaître les pratiques d’aménagement et les politiques publiques qui sont mises de l’avant par les planificateurs afin de permettre cette mixité et les tactiques prises pour éviter le phénomène de gentrification.  Voyons donc tout d’abord pourquoi la mixité sociale est si bénéfique à l’échelle urbaine.   

 

 

 

 

 

 


LA MIXITÉ SOCIALE ET LA SITUATION SOCIOÉCONOMIQUE D’UNE POPULATION

 

 

          La mixité sociale est d’un grand intérêt pour les municipalités. Assurément, on a pu remarquer au cours des dernières décennies que la ségrégation des classes sociales à l’échelle urbaine créait des coûts sociaux très élevés. Les secteurs défavorisés se démarquant généralement de façon importante par leur taux de criminalité élevé, leur forte présence de population immigrante, leur taux important de chômage et plusieurs autres caractéristiques socioéconomiques qui, nous le savons aujourd’hui, désavantagent énormément la population locale.



 Selon plusieurs études, une manière de détourner ces problèmes est de créer des environnements urbains résidentiels où des gens de différentes classes sociales se côtoieraient.  Effectivement, en plus de dissoudre la population défavorisée à l’échelle de la ville et ainsi diminuer la formation de ghettos,  elle incite la mutation de cette population vers une classe supérieure.  Tel que l’explique Mme Janet Smith, docteur en études urbaines : « By mixing people together, we will build social capital,  and the poor people will get into the middel-class ». (Bentley, 2005.)  Ceci s’expliquerait par un désir grandissant de la classe défavorisée à atteindre le niveau social de la classe moyenne  dans un contexte de mixité sociale.  Parallèlement ou en addition à cette observation, le fait d’être régulièrement en interaction avec une population plus aisée lui donne un caractère plus accessible.  De plus, le traitement similaire que portent les autorités aux deux types  de classes sociales permet à la population défavorisée une hausse de son estime-personnelle.  L’ensemble des éléments a pour conséquence d’améliorer la situation socioéconomique de la population défavorisée et a des répercussions positives sur l’ensemble des citoyens. 





À la connaissance de tous ces avantages, il nous vient à nous questionner sur les raisons qui empêchent de créer cette mixité de façon systématique. Le phénomène de gentrification qui est certainement l’une des principales causes, fait rapidement son apparition.    Étudions-le afin de  bien en cerner sa formation et ses conséquences.








LE PHÉNOMÈNE DE LA GENTRIFICATION : DÉFINITION ET PROCESSUS 

 


          Le terme gentrification qui se veut le phénomène urbain d’embourgeoisement, semble avoir été utilisé pour la première fois par la sociologue Ruth Glass il y a un peu plus de quatre décennies.  Depuis, il a gagné en popularité et a fait l’objet de plusieurs recherches dans différents domaines.   Par contre, il semble que les scientifiques qui y travaillent ne s’accordent pas sur une version unique de sa définition. Ils se sont tout de même entendus sur certains points qui la caractérisent. Donc selon ces derniers, le phénomène de gentrification varie selon les périodes de temps, les localisations et la phase de gentrification. Il est généré par un afflux important de capital dans un quartier donné.  Ceci a pour conséquence le déplacement ou la transformation de sa population locale d’origine,  de sa culture, de ses équipements et infrastructures initiaux, tout cela, au profit d’une ou des classes sociales supérieures. Certaines politiques gouvernementales,  une situation économique prospère et des changements démographiques importants au sein d’une population sont des facteurs qui favorisent sa mise en Å“uvre. (Brown-Saracino, 2010.)



Concrètement, et de façon succincte, ce phénomène se produit lorsque des groupes sociaux relativement aisés découvrent ou redécouvrent un quartier qui leur offre des avantages et décident de s’y établir. Il est important de spécifier que le quartier est originalement occupé par une population plus pauvre que la population immigrante. Une réhabilitation des bâtiments et un accroissement des valeurs immobilières modifient donc tout d’abord le caractère du quartier.  Ensuite,  cette nouvelle population qui désire améliorer le secteur dans lequel elle habite et avoir accès à plus de services fait pression sur les pouvoirs publics afin de les obtenir.  Dans des situations ou la gentrification est planifiée par les autorités, il n’est  pas rare de voir apparaître les nouveaux services avant même l’arrivée de la population migratoire.  Ceci, bien sûr, a pour objectif de rendre le quartier attrayant aux yeux de la population visée.   Ces importants changements font en sorte que le quartier devient un secteur recherché à l’échelle de l’agglomération.  Si les autorités régionales n’ont pas mis sur pied des mesures permettant à la population locale d’origine d’être protégée contre ce mouvement et d’y demeurer, elle ne pourra pas se permettre d’y rester bien longtemps et devra se relocaliser ailleurs sûrement dans un quartier plus abordable et moins bien desservi en services ou dans les cas extrêmes, une partie de la population se retrouvera sans abri.  Il est aussi intéressant de savoir que dans certains cas, les quartiers deviennent tellement populaires que la première génération de  « gentrificateurs» ne peut plus, elle non plus, se permette d’habiter le quartier et doit, à son tour, laisser place à une classe sociale plus aisée.



 Il devient donc évident que l’implication des autorités est essentielle à une  bonne gestion du développement urbain soit, parallèlement, à une mixité sociale.  Par contre, malgré de bonnes volontés municipales ou gouvernementales, ces objectifs restent difficiles à atteindre, voyons pourquoi.

 

 

 

 

 

 

LES LIMITES DES POLITIQUES DE MIXITÉ SOCIALE



          Le principe de mixité sociale, malgré de bons soutiens gouvernementaux, éprouve des difficultés à améliorer la condition socioéconomique de tous les membres de la société.  Effectivement, tel que le présente Charles Shaw dans son texte intitulé « Gentrification reality tour : neither benign nor benevolent » (Brown–Saracino, 2010.),  les politiques ne parviennent pas à répondre aux problèmes des populations plus en marge. 



 Il explique, en prenant comme exemple la ville de Chicago, que la moyenne des habitations conçues pour des gens à faible revenu dans des quartiers promouvant une mixité sociale s’adresse à des ménages ayant un revenu annuel d’environ 30 000.00$ .  Par contre,  il nous informe que la moyenne de revenu annuel de la classe défavorisée de cette même ville se situe entre 8 000.00$ et 12 000.00$.  Il est donc évident qu’une grande partie de la population défavorisée ne peut bénéficier de ces environnements. 



Il développe ensuite cet aspect en pointant l’attitude souvent raciste des autorités policières et la définie comme une entrave à la mixité sociale.  Il nous informe que, suite à un projet de revitalisation de quartier,  la surveillance policière est fortement présente afin d’assurer la sécurité et la stabilisation du secteur.  Les policiers, conditionnés par leur pratique, sont portés à intervenir plus fréquemment et de façon plus sévère auprès des populations afro-américaines ou latines.  Ce genre d’attitude envoi directement le message à ces populations qu’elles ne sont plus les bienvenues dans ce quartier maintenant revitalisé.



Ces deux points auxquels on doit ajouter la peur des pauvres,  crainte généralisée au sein de la population, font en sorte que la mise en Å“uvre de développements mixtes socialement répondent rarement aux besoins de l’ensemble de la société et sont très difficiles à concrétiser.  De plus, ils ont malheureusement comme conséquence de créer le phénomène de gentrification expliqué précédemment.

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ÉTUDES DE CAS : REGENT PARK À TORONTO




          Finalement,  tel qu’annoncé plus tôt, voici la brève analyse du projet de revitalisation de Regent Park, situé à Toronto.  Ce projet  consiste à transformer le plus grand parc de logements sociaux au pays en un ensemble urbain dynamique et convivial pour une collectivité saine et diversifiée.  Il doit aussi permettre à la majorité de sa population initiale de continuer à y demeurer une fois le projet achevé. Le projet sera donc étudié de façon à faire ressortir les pratiques d’aménagement et les politiques publiques qui sont mises de l’avant par les planificateurs afin de permettre cette mixité sociale et les tactiques prises pour éviter le phénomène de gentrification.  Il est important de noter que les résultats de cette intervention ne pourront être analysés puisque les données disponibles n’exposent que la première des six phases d’interventions. 



Afin de se mettre dans le contexte, il important de savoir que le projet original de Regent Park a été désigné il y a une cinquantaine d’années dans le but de créer une importante communauté à faible revenu près du centre-ville de Toronto.  Le quartier était entièrement composé d’immeubles sociaux et son aménagement créait l’isolement du développement par rapport aux quartiers avoisinants.  Malgré de persistants efforts de la part des résidents et des autorités,  la situation économique et sociale en marge des secteurs voisins défavorisait les occupants de Regent Park.  «  These local barriers,  or ‘’ neighbourhood effects’’,  have undermined access to employment,  success in education,  and opportunity for advancement in Regent Park,  as they have in other low-income communities across North America. » (Toronto Community Housing, 2007.)



Le projet de revitalisation du quartier visant donc à ouvrir Regent Park sur le reste de la ville, de nouvelles rues et des parcs ont été aménagés afin de connecter le secteur aux quartiers avoisinants.  De plus,  2 500 résidences initialement construites seront détruites pour faire place à  5 100 nouvelles unités dont 1 779 seront allouées à une population à faible revenu. Trois cent autres unités attribuées à cette même classe sociale seront construites  à l’extérieur du site.  Ce changement au sein de Regent Park a pour objectif de diversifier le portrait des résidents du quartier.  Ceci en promouvant l’arrivée de population ayant des revenus, professions,  relations et parcours variés afin de créer une mixité sociale. «  These changes will add more economique ressources,  social networks and contact with decision makers to the current community,  providing Regent Park residents with tools to improve both the neighbourhood and the opportunities for the people who live there. » (Toronto Community Housing, 2007.) 

 

Pour mettre sur pied ce type de projet,  il est, selon les planificateurs, essentiel que la population locale se sente impliquée.  Dans le cas de Regent Park, elle travaillait déjà depuis plusieurs années à tenter d’améliorer la situation du quartier.  Il n’a donc pas été très difficile de l'engager dans le processus de planification.  Ce dernier s’est concrétisé par une série de réunions et de consultations publiques menées par la ville de Toronto et la Toronto Community Housing auxquelles de nombreux intervenants ont été impliqués.  



Les planificateurs tenaient aussi beaucoup à ce que les méthodes d’aménagement permettent réellement la création d’une mixité sociale et d’une meilleure qualité de vie.  Ils se méfiaient des interventions qui modifient simplement un ghetto en un meilleur ghetto. Ainsi le quartier devait complétement changé de caractère.  Les planificateurs ont donc l’intention de concrétiser ces objectifs en créant un environnement au sein duquel on retrouvera de nombreuses typologies d’habitations, des modes de tenures variés et une multitude de services. Il est très important que le traitement des bâtiments diminue la distinction qu’il peut y avoir  entre les bâtiments alloués à une population plus pauvre et ceux qui sont conçus pour une classe plus aisée.  Ceci, bien sûr, dans le but de minimiser la segmentation. Ils doivent ainsi avoir le sentiment de faire partie d’une même communauté.  Une attention particulière doit aussi être portée  aux détails d’aménagement afin de promouvoir la protection et la sécurité des occupants dans les endroits publiques et les rues. Il est aussi important à travailler au maintien d’un bon entretien des lieux et des bâtiments. Ces derniers objectifs favorisent le sentiment de protection et augmente l’implication et l’attachement des résidents au quartier. Dans un cas comme celui de Regent Park, où sa réputation lui fait mauvaise presse, il est primordial de prendre très au sérieux ce genre de détails.  

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Bref, nous avons pu voir la façon dont les planificateurs prévoient attirer une population mixte au sein du quartier. Il est maintenant intéressant de valider de quelle manière ils comptent faire interagir ces différentes populations ensemble.  Selon leurs études,  le meilleur dispositif à cet effet est la création d’installations publiques qui ont pour fonction une ou des activités répondant aux besoins de l’ensemble de la communauté, tel un jardin communautaire ou une salle polyvalente.  Elles doivent être facilement accessibles et s’adapter à différents types d’activités. Ils ont aussi noté que les événements artistiques et culturels sont de bons moyens de regrouper des personnes de différents milieux sociaux.  Par contre, il est aussi important de permette aux sous-cultures d’un quartier de se rassembler et de conserver leur caractère identitaire. 



Les planificateurs  de Regent Park ont donc l’intention de concevoir les six phases du projet de revitalisation du quartier en prenant en compte ces objectifs.  Il est bien sûr indispensable que les autorités locales fournissent une importante contribution monétaire et qu’elles mettent en place les outils législatifs pour les créer et les soutenir.

 

 

 

 

 


CONCLUSION 


          En somme, nous avons pu constater que le principe de mixité sociale malgré qu’il soit  considéré comme une condition essentielle pour un équilibre des relations sociales à l’échelle de la ville, a d’importantes lacunes dans sa concrétisation. D’une part, il met de côté les groupes sociaux les plus défavorisés et d’une autre, il demande un fin suivi des autorités afin de ne pas créer le phénomène de gentrification.  Par contre, lorsque cette mixité fonctionne, elle permet une amélioration notoire de la situation socioéconomique d’une classe sociale habituellement défavorisée.  Par l’étude de cas de Regent Park à Toronto,  nous avons pu observer certaines pratiques d’aménagement et des moyens politiques  qui permettre de favoriser cette mixité sociale et souhaitant, par le fait même, détourner le phénomène de gentrification.  Il serait maintenant intéressant de suivre de plus près les phases subséquentes du développement de Regent Park, de valider les intentions qui auront été réalisées et celles qui n’auront pas fonctionnées et de comprendre la ou les causes. Ce travail demanderait une analyse pointue et un important délai puisque ces  types de changements sociaux ont des répercussions subtiles sur une très grande période de temps, en voici, certainement, l’un des plus grands défis. 

 

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE



 

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BENTLEY, I et ALL. (1985). Responsive Environments. London : Architectural Press.



BENTLEY, J. « A clean slate? The Toronto Community Housing Corporation begins the process of reinventing the legendary Regent Park », Canadian Architect, Août 2005, vol. 50, no.8, p.44-47



BROWN-SARACINO, J. (2010) The gentrification debates, New York, Routledge.     

CHAVAN, A., PERALTA, C. & STEINS, C. (2007) Planetizen Contemporary debates in urban planning, Washington : Island Press



DESCHAMPS, E. « La politique urbaine du logement : l’objectif de mixité sociale », La revue française des affaires sociales, 2001, vol. 3, no. 3, p. 81 à 97



LANGLOIS, S. « Gentrification, nouvel urbanisme et évolution de la mobilité quotidienne : vers un développement plus durable ? Le cas du Plateau Mont-Royal (1998-2003) », Recherches sociographiques, septembre-décembre 2008, vol. 49, no. 3, p. 423 à 445

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PURDY, S.  « By the people, for the people : tenant organizing in Toronto’s Regent Park Housing project in the 1960s and 1970s »,  Journal of urban history, mai 2004,  vol. 30,  no.4, p.519-548




TALEN, E. «  Smart code justice », Places, été 2006, vol. 18, no. 1, p.30-35




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TORONTO COMMUNITY HOUSING (2007). Regent Park Social development plan, executive summary, http://www.toronto.ca/revitalization/regent_park/pdf/rpsdp_executivesummaryfinal_sept172007.pdf, consulté le 23/11/2012, 34 p.

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